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La championne du mois

22, janvier, 2017

Sephora Bissoly, lanceuse de javelot

À l'heure où j’écris cet article, trois semaines se sont écoulées depuis ma rencontre avec Sephora . Au-delà du fait que j’ai été très occupée dans mes autres fonctions, je pense que j’avais réellement besoin de digérer cette interview avant de pouvoir la coucher sur papier.

Mais reprenons depuis le début.

Lorsque j’ai booké mes vacances en Martinique, il était évident pour moi que je rencontrerais une athlète native de là-bas car je savais que les Antilles détiennent en son giron une multitude de sportifs compétiteurs. J’ai donc comme à mon habitude lancé un appel sur Facebook et c’est très rapidement que j’ai été mise en contact avec la salle de sport et box de CrossFit «CoachMe» situés à Fort-de-France. Christophe Violain, qui en est le directeur, m’a invitée à rencontrer une de ses collaboratrices, Sephora Bissoly, Championne de France de lancer du javelot. Notre rencontre s’est déroulée en trois temps. J’ai d'abord eu la chance de tester cette fameuse box de CrossFit en assistant au WOD de 10 h. Sephora, pendant ce temps, terminait son heure de coaching sur le plateau musculation attenant à la box.

J’en profite au passage pour faire des éloges de ce club car j’ai trouvé que la qualité d’enseignement de la part du coach qui a présidé la séance (Brian) était tout simplement excellente. Le patron, Christophe, a d’ailleurs été sacré double Champion poids lourd de la Caraïbe en MMA à 42 ans. Bref, j’avais vraiment l’impression d’être entourée de grosses pointures dans cette gym! Mais ce qui m’a frappée c’est justement l’humilité qui y régnait.

Ma séance de CrossFit se termine donc et après une bonne douche (je pense avoir perdu 10 litres d’eau avec la chaleur et l’humidité !) je retrouve Séphora dans le petit coin « lounge » du club. L’interview commence, je lui demande de me parler d’elle et au final je bois ses paroles pendant près de deux heures. Son récit sur sa vie de sportive est tout simplement époustouflant, remplie d’anecdotes et péripéties mais surtout, remplie de frustrations et je dirais même de souffrance. C’est donc pour cela qui m’a fallu du temps pour digérer toutes ces informations et pour retranscrire le SOS de Séphora.

Avant de raconter son histoire, je tiens d’abord à écrire que je suis consciente du caractère plus ou moins polémique de cet article. J’aurais pu aussi faire le choix de mettre la tête dans le sable et de garder uniquement la partie « glamour » de notre interview mais je pense que cela serait franchement réducteur et absolument pas représentatif de la vie de Séphora. Ecrire des articles sur des êtres humains, c’est aussi prendre le risque d’être confrontée à leur histoire, pas toujours drôle et pleine de paillettes.

Son Palmarès (les médailles les plus importantes)

Niveau Régional :

  • Record Woman de la Martinique 59,52m (59,52m constitue la troisième meilleure performance française de tous les temps)

Niveau national/international :

  • Championne de France Elite (2006)
  • Vice championne d’Europe par équipe (2007)
  • Vice-Championne de France Elite (2010, 2011, 2012, 2014 et 2016)

Lorsqu’elle était petite, mais déjà grande !

Séphora est née en 1981 à Schoelcher en Martinique. Elle a grandi dans une famille nombreuse dans laquelle le sport avait une grande place. Toute petite, elle était déjà prometteuse puisqu’elle a même été championne de la Martinique en gym artistique, son premier sport. C’est vers 13 ans qu’elle arrêta la danse pour se consacrer à l’athlétisme. À ce moment-là, sa discipline de prédilection était la 80m haie. Elle a d’ailleurs été championne minimes de Martinique. Mais les choses ne se sont pas tout à fait passées comme prévu puisque la belle a pris non moins de 8 kg durant son adolescence. Elle avait en fait subi un retard de croissance dû à la pratique intensive de gym et s’est mise à grandir d’un coup ! Elle décide donc d’arrêter la haie et démarre le lancer. Très vite elle participe à des compétitions et se rend compte rapidement de sa facilité et de ses qualités pour le lancer du javelot. Lorsqu’elle participera à ses premiers jeux de la Caraïbe (les CARIFTA Games) en 1996, Séphora se démarque déjà en effectuant une très belle performance et se place comme vice-championne. Les jeux regroupent beaucoup de pays qui ont vu naitre de grands champions tels que Usan Bolt par exemple, puisque la Jamaïque est entre autres un des pays participants. Séphora connaît d’ailleurs le grand monsieur Bolt depuis son adolescence et me racontait que petit, il était déjà incroyable à regarder courir (j’avoue, c’est le genre d’anecdote qui me fait kiffer grave, ha ha!).

L’expérience en métropole

Il n’y a aucun doute sur le fait que Séphora était très très prometteuse en lancer du javelot. Mais un choix difficile devait se faire : rester en Martinique et voir ses rêves de médailles s’envoler ou partir en métropole pour espérer des titres. Et pourquoi pas s’entrainer en Martinique et gravir des podiums malgré tout ? C’est bien le cœur du problème et j’y reviendrai plus tard .

Séphora décide donc de partir dans le sud de la France et s’inscrit en Licence STAPS. Elle peut donc étudier et s’entrainer dans les meilleures conditions qu’offre la fédération d’athlétisme en métropole. Mais voilà, la magie n’opère pas. Séphora est constamment malade et vomit tout le temps. Ses entrainements se passent mal et elle n’arrive plus à performer. Elle s’accroche du mieux qu’elle peut mais malgré toute sa bonne volonté elle n’arrive pas à s’acclimater. Comme vous j’en suis sûre, je me demande et lui demande d’ailleurs, pourquoi elle ne fait pas encore un effort pour s’adapter et enfin profiter de toutes les infrastructures nécessaires à sa progression ! Mais voilà, les choses ne sont pas aussi simples. Sa famille et son entourage sont évidemment un pilier pour elle et l’éloignement est difficile, sans parler de son entraineur qui la suit depuis 2002 et qu’elle ne veut pas quitter ! Aussi, Séphora est née aux Caraïbes et c’est justement l’essence de sa culture qui la rend si performante. Elle a aussi pour habitude de récupérer longuement dans la mer chaude qui est pour elle comme un « médicament » et se recouvre du sable volcanique les parties de son corps blessées ou affaiblies. Elle a aussi ses habitudes alimentaires qui sont indispensables à son hygiène sportive et consomme énormément de produits de la terre et cultivés uniquement chez elle. Ces exemples sont piochés parmi beaucoup d’autres et je pense qu’il n’y a pas vraiment de bons ou mauvais arguments. Séphora performe lorsqu’elle s’entraine chez elle, un point c’est tout.

Retour au bercail

Séphora décide donc de rentrer en Martinique et s’ensuivra deux ans d’entrainement acharné. Son travail paye puisqu'elle explose ses perfs entre 2005 et 2007. C’est d’ailleurs durant cette période qu’elle fera la troisième meilleure performance française de tous les temps. Mais en 2008 tout bascule, elle se blesse et doit se faire opérer. Après l’opération, le moral est au plus bas car elle doit tout reprendre à zéro. Mais Séphora a vraiment un mental de lionne car elle réussira à se placer vice-championne de France durant trois années consécutives (2010, 2011, 2012).

Durant l’année 2012, c’est lors d’un stage avec la recordwoman et Championne Olympique qu’elle se fait remarquer par le sélectionneur allemand qui lui dit que son potentiel est incroyable mais qu’elle manque clairement de technique. Et pour avoir de la technique, il faut les moyens ! Cela veut dire du temps, or Sephora travaille à temps plein pour vivre et est obligée de s’entrainer le soir après le travail. Aussi, elle n’a pas accès à une équipe qui l’entoure (kiné, ostéo, préparateur physique.. ) pour mettre toutes les chances de son coté. Non, d’après elle le message est clair, la fédération française d'athlétisme ne la soutiendra pas tant qu’elle ne sera pas en métropole. C’est tout de même une aberration puisque la Martinique est pourtant bien un département français !

La suite restera la même, Séphora enchaine les désillusions et faute de moyens, elle ne peut pas participer à beaucoup de compétitions mis à part les Championnats de France.

Quand les rêves de JO s’envolent

Le plus dur reste à venir. À quelques mois des JO de Rio en 2016, Séphora se retrouve sans aucune subvention. On lui demande subitement de devoir justifier la subvention annuelle qu’elle a touchée en 2012. Or, vous devez savoir que tous les sportifs ayant droit à une subvention, doivent justifier leurs frais d’une année à l’autre. Elle avait donc déjà donné tous ces justificatifs à la fin de l’année 2012 pour recevoir sa subvention de 2013. En clair, elle n’avait plus rien ! Nous étions début 2016 et on lui demandait de ressortir des factures vieilles de quatre ans qui avaient déjà été données !  Sans subvention (comptez environ 8000 euros, donc inutile de vous dire que ce n'est déjà pas énorme pour une année entière de déplacements), il était juste impossible de participer à plusieurs meetings pour se faire les griffes avant le plus crucial: les championnats de France (sélections au JO). Malheureusement elle se placera deuxième à 15 cm derrière celle qui fut finalement sélectionnée. 

Voilà l’histoire de Séphora. L’idée n’est pas de vous faire sortir vos mouchoirs mais je pense qu’il est intéressant de prendre conscience de la réalité de la vie des sportifs qui n’est pas toujours rose.

Cette réalité est d’autant plus courante chez les athlètes pratiquant des sports peu reconnus et diffusés uniquement lors de grandes rencontres.

Séphora en 11 questions :

#1: Sportive depuis un jour ou sportive depuis  ?
L’enfance !

#2: Ton premier geste au saut du lit et le dernier de la journée ? Je visualise mentalement ma journée et je saute dans la douche ! le soir je refais ma journée dans ma tête, ce qui a été accompli et ce qui ne qui ne l’est pas encore.

#3: Qui t'inspire(nt) ? Ma maman (décédée il y a deux ans) qui avait une grande dimension humaine et qui était une vrai battante. C’est mon étoile. Elle était pleine de douceur et donneuse de bons conseils. Elle me disait toujours ”c’est dans le calme que sera ta force”. Ma mère s’est beaucoup investie dans mes projets et c’est donc pourquoi je ne veux rien lâcher.

#4: Le plus beau moment sportif de ta vie... ? 2006 mon titre de championne de france: cette rage que j’avais de ces injustices a généré chez moi une force ultime. Au moment du lancé j’ai d’ailleurs crié de tout mon être. Chose que je ne fais jamais.

#5: ...et le plus dur ?
La blessure, tout le travail fourni tombe par terre et il faut tout recommencer à zéro.

#6: En dehors des entraînements, sneakers ou talons hauts ? Talons hauts !! (rires)

#7: Vacance = lagon bleu ou montagne enneigée... ?
Lagon bleu ! j’aime la mer. Ça me détend et ça m’apaise. C'est le seul endroit où j’oublie tout.

#8:....et sport ou farniente ?
Oui je relâche. Ça me permet de renforcer ma motivation au retour. Et je m’enrichie de voyager.

#9: Ton péché mignon culinaire ?
Je suis une grande gourmande ! J’adore manger ! J’adore le lambi, les oursins, les sorbets aux fruits de l’île. J’adore la baguette au beurre et au chocolat (spécialité que j'ai eu l'occasion de gouter, une tuerie!) . Tout ça reste occasionnel car je fais très attention.

#10: Prochain objectif sportif: Etre sélectionnée aux championnats d’Europe.

#11: Que puis-je te souhaiter ? De la réussite dans toutes les entreprises. Être plus soutenue et me consacrer à ma discipline. Mon objectif final est bien sûr une sélection aux JO 2020 à Tokyo.

J’ai testé le lancer de javelot !

À l'issue de notre interview, j'ai suivi Sephora vers une des plages où elle s’entraine tôt le matin quand il n’y a encore personne. J’ai eu droit à un petit cours privé du lancer du javelot dont je ne suis pas mécontente! Et, je n’ai pas intérêt à louper l’obstacle du javelot lors de ma prochaine spartan race! Le cadre était tout simplement incroyable, jugez plutôt avec la vidéos ci-dessous.